Reportage – À Conakry, le gouvernement dénonce une évaluation biaisée, mais la presse locale peine à y croire
Conakry, 2 mai 2025. Le dernier classement de Reporters sans frontières (RSF) a jeté un froid sur le paysage médiatique guinéen. En perdant 25 places en un an, la Guinée chute de la 78e à la 103e position sur 180 pays dans l’Indice mondial de la liberté de la presse. Un recul sévère que les autorités jugent exagéré, voire injuste. Mais cette contre-offensive gouvernementale peine à convaincre certains journalistes locaux, qui dénoncent des réalités bien différentes sur le terrain.
C’est Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement, qui s’est exprimé dès ce vendredi. Face à la presse, il a critiqué un rapport « qui ne reflète pas la réalité du pays », affirmant que la Guinée reste fermement engagée dans la construction d’un espace médiatique « libre, pluraliste et responsable ».
« Le Gouvernement de la République de Guinée regrette que les efforts engagés dans le cadre de la transition ne soient que partiellement reflétés », a-t-il déclaré, rappelant que la loi de 2010, toujours en vigueur, dépénalise les délits de presse. Il a ajouté qu’aucune mesure récente n’a été prise pour restreindre le travail des journalistes, bien au contraire.
Parmi les actions mises en avant par le ministre : les points de presse réguliers des membres du gouvernement, l’élargissement de la couverture médiatique nationale, la création de la plateforme interactive Guinée GOUV, ou encore le renforcement du rôle de la Direction de la communication et de l’information (DCI), chargée de relayer les grands projets publics comme Simandou 2040.
Mais dans les rédactions de Conakry, ces déclarations sont accueillies avec réserve.
« La réalité, c’est que nous travaillons sous pression », confie sous anonymat un journaliste d’une radio privée bien connue de la capitale. « Des médias ont vu leurs signaux suspendus, des journalistes convoqués par la police ou empêchés de couvrir certains événements. Ce sont des faits. Alors oui, on a des lois progressistes sur le papier, mais l’environnement s’est durci ces derniers mois. »
Sékou Kaba, reporter et membre du Syndicat des professionnels de la presse privée, va plus loin : « Ce n’est pas une surprise que la Guinée recule dans le classement. Il y a un vrai malaise dans la profession. L’autocensure gagne du terrain, surtout quand il s’agit de sujets sensibles comme la transition ou les grandes affaires économiques. »
Selon lui, les initiatives de communication institutionnelle évoquées par le gouvernement — comme Guinée GOUV ou les briefings ministériels — servent davantage à contrôler le narratif qu’à favoriser le pluralisme de l’information. « Nous ne demandons pas des plateformes de communication, mais la fin des intimidations, l’accès réel aux sources publiques et des garanties solides pour exercer librement. »
Du côté du gouvernement, on se veut rassurant. Ousmane Gaoual Diallo assure qu’un dialogue est en cours avec les associations de presse et les partenaires internationaux pour « renforcer les garanties offertes aux journalistes ». Il en appelle à une presse « éthique et responsable », considérant que les réformes actuelles visent à faire de la liberté d’expression un pilier de la cohésion sociale.
Mais pour nombre d’acteurs du secteur, les paroles ne suffisent plus. « Ce n’est pas un rapport qu’il faut contester, c’est une réalité qu’il faut corriger », tranche un autre rédacteur en chef de la place.
Alors que les regards internationaux restent tournés vers la transition guinéenne, le débat sur la liberté de la presse s’impose comme un test de crédibilité. Dans les couloirs feutrés des rédactions comme dans les rues de Conakry, une question revient : à quoi bon de belles lois si les journalistes n’ont plus la liberté de les faire vivre ?
Alpha Amadou Diallo