Le gouvernement guinéen affirme sa volonté d’organiser en une seule journée, d’ici fin 2025, les élections présidentielle et législatives. Une annonce qui, si elle semble pragmatique sur le papier, suscite des doutes de plus en plus bruyants dans les rangs de l’opposition et chez nombre d’observateurs avertis. Et pour cause : cette précipitation électorale traduit moins une ambition démocratique qu’un glissement inquiétant vers une ingénierie électorale aux contours flous.
Dans un entretien accordé à VisionGuinée, Abdoulaye Bah, politologue et cadre de l’UFDG, n’a pas mâché ses mots. Derrière la promesse d’efficacité, il dénonce une série de contradictions entre les engagements initiaux du général Mamadi Doumbouya et les annonces récentes de son Premier ministre. Car il faut le rappeler : en 2022, le chef de la junte promettait un retour à l’ordre constitutionnel fondé sur une séquence logique – d’abord les communales, puis les législatives, enfin la présidentielle. Une transition « par la base », censée réconcilier la nation avec le suffrage local, et restaurer la légitimité des institutions. Que reste-t-il aujourd’hui de cette parole donnée ?
À l’évidence, le couplage des scrutins, présenté comme un gain de temps, risque au contraire de brouiller les repères démocratiques. Car la logique d’un tel enchaînement électoral repose sur une hiérarchie institutionnelle : on construit une démocratie à partir de la base, pas en commençant par le sommet. Les élections locales ne sont pas un simple décor ; elles révèlent l’enracinement des partis, la confiance des citoyens, la cohésion territoriale. S’en passer, ou les repousser aux calendes guinéennes, c’est priver le pays d’un baromètre politique fondamental.
Pire encore, ce couplage pourrait favoriser mécaniquement le pouvoir en place, en réduisant la campagne à une équation confuse, où les enjeux présidentiels viendront écraser ceux de la représentation parlementaire. Une stratégie classique pour verrouiller le débat et capitaliser sur l’appareil d’État. Mais une stratégie à courte vue, qui pourrait bien précipiter une crise de légitimité.
Certes, comme le concède Abdoulaye Bah, organiser plusieurs scrutins en une seule journée n’est pas en soi irréalisable – l’Indonésie et l’Inde l’ont fait. Mais ces pays disposent d’institutions électorales robustes, de calendriers transparents et, surtout, d’un consensus politique minimal. Trois conditions aujourd’hui loin d’être réunies en Guinée. Où est la CENI indépendante, crédible, renforcée ? Où est le dialogue sincère entre opposition et pouvoir ? Où est la clarté du calendrier électoral ?
Derrière les débats techniques se pose une question de fond : la Guinée a-t-elle encore les moyens, politiques et moraux, de reconstruire sa démocratie sur des bases solides ? Car le véritable test de souveraineté, ce n’est pas de brandir l’indépendance dans les discours, mais de garantir, par ses propres moyens, des élections libres, transparentes et inclusives. Financer ses scrutins, respecter les lois, accepter la défaite éventuelle, voilà les signes d’un État adulte.
On ne triche pas impunément avec la démocratie. L’histoire guinéenne en témoigne : chaque élection biaisée engendre son lot de frustrations, de violences, de désillusions. Et les victimes ne sont jamais les gouvernants de passage, mais la nation entière. Comme le rappelle Bah, les plaies du régime Condé sont encore béantes, et les errements d’hier continuent de faire souffrir le peuple aujourd’hui.
Alors, à ceux qui veulent imposer un couplage électoral sans concertation, rappelons cette vérité simple : sans respect des urnes, il n’y a pas de paix durable. Organiser une élection crédible n’est pas un luxe, c’est une nécessité vitale. Le peuple est prêt à choisir, mais encore faut-il lui en donner l’occasion, honnêtement.
Algassimou L Diallo