Au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger, les régimes militaires multiplient les disparitions forcées et détentions illégales pour faire taire toute voix dissidente. Militants, journalistes, avocats ou magistrats sont ciblés dans une stratégie de terreur orchestrée par les forces de sécurité, dans le silence ou la complicité des autorités. Amnesty International tire la sonnette d’alarme face à ces atteintes graves à l’État de droit.
Depuis le 9 juillet 2024, deux militants du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), mouvement qui demande le retour à l’ordre constitutionnel en Guinée, sont des victimes des « disparitions forcées ». Mamadou Billo Bah et Oumar Sylla, alias Foniké Menguè, ont été enlevés au domicile de ce dernier, la veille d’une journée de mobilisation contre la vie chère et pour le retour à un pouvoir civil.
Selon le témoignage de Mohamed Cissé, autre militant arrêté avec eux et relâché deux jours plus tard avec de graves blessures, ils auraient été conduits par des éléments des forces de défense et de sécurité dans un lieu de détention situé dans l’archipel de Loos, au large de Conakry. Les autorités nient les détenir. Et leur sort reste inconnu à ce jour.
Faire régner la peur
Les forces de défense et de sécurité des régimes militaires d’Afrique de l’Ouest ciblent des membres de la société civile perçus comme s’opposant aux pouvoirs en place à travers des disparitions forcées et des détentions illégales. Suivant une mécanique identique, journalistes, magistrats, avocats, activistes ou défenseurs des droits humains sont enlevés en pleine rue, à leur domicile ou sur leur lieu de travail par des hommes armés se présentant, ou non, comme des représentants de l’État. Embarqués dans des véhicules banalisés, généralement les yeux bandés, ils sont ensuite détenus et soumis à des interrogatoires durant des jours, des semaines, voire plus.
Cela se fait dans l’illégalité, en dehors de toute procédure judiciaire ou en violation de celle-ci. Aucun mandat d’arrêt n’est jamais présenté. De leur côté, les autorités nient être impliquées ou ne donnent aucune information sur le sort des personnes enlevées, y compris à leurs familles et à leurs avocats. Ils finissent parfois par apprendre qu’elles étaient gardées dans des lieux de détention informels, comme les bureaux des services de sécurité. Lors de ces rétentions hors de tout contrôle, le pire peut arriver aux victimes. Car c’est bien la peur que les forces de défense et de sécurité cherchent à faire régner au sein de la société civile.
La liste des disparus s’allonge
Un exemple parmi d’autres : au Burkina Faso, l’avocat Guy Hervé Kam, cofondateur du mouvement Balai citoyen et coordinateur national du mouvement politique Sens, a été détenu illégalement pendant cinq mois en 2024. Cinq autres membres du bureau du mouvement Sens, qui avait dénoncé des massacres de civils dans le cadre du conflit armé, ont été enlevés en mars 2025 par des hommes armés sans uniforme se présentant, selon des témoins, comme des membres des forces de sécurité.
Les autorités sont restées muettes à leur sujet malgré les interpellations du mouvement. Quatre journalistes et chroniqueurs, Serge Oulon, Adama Bayala, Kalifara Séré et Alain Traoré, dit Alain Alain, ont été enlevés en juin et juillet 2024. En octobre, les autorités, qui n’avaient précédemment communiqué aucune information sur leur situation, ont annoncé avoir enrôlé les trois premiers dans l’armée sur la base d’un décret de mobilisation générale. Le sort du quatrième demeure inconnu jusqu’à ce jour.
Au Niger, la situation de la journaliste et blogueuse Samira Sabou est restée inconnue pendant une semaine en septembre 2023, après son arrestation à son domicile. Les avocats de Moussa Tchangari, secrétaire général de l’organisation Alternatives Espaces Citoyens, victime d’une détention illégale, n’ont connu son lieu de détention que deux jours après son arrestation, une fois leur client transféré dans les locaux de la police.
Au Mali, Ibrahim Nabi Togola, président de la Nouvelle Vision pour le Mali, un parti d’opposition, a été enlevé en décembre 2024 par des éléments présumés de la sécurité d’État et son sort est resté inconnu jusqu’à sa libération quarante-cinq jours plus tard.
En Guinée, le journaliste Habib Marouane Camara a été enlevé le 3 décembre 2024 par des hommes armés identifiés par des témoins comme étant des gendarmes. Ses proches sont depuis sans nouvelles.
Sauvegarder l’État de droit
Les disparitions forcées et les détentions illégales s’achèvent souvent par le transfèrement de la victime aux forces de police pour initier une procédure judiciaire montée de toutes pièces. Au Burkina Faso, elles peuvent prendre une tournure plus dramatique, à savoir l’enrôlement ciblé de la personne détenue au sein de l’armée, parfois pour se retrouver au front, face aux groupes armés.
Ce fut le cas pour plusieurs acteurs de la société civile et journalistes, notamment Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba, président et vice-président de l’Association des journalistes du Burkina Faso, qui avaient dénoncé publiquement la multiplication des atteintes à la liberté de la presse, et du journaliste Luc Pagbelguem, de la chaîne privée BF1, qui avait relayé ces dénonciations. Leurs familles sont restées sans nouvelles d’eux pendant une semaine après leur arrestation, le 24 mars 2025, puis une vidéo les montrant en habits militaires a circulé sur les réseaux sociaux.
Amnesty International ne cesse d’appeler les autorités maliennes, guinéennes, burkinabè et nigériennes à mettre un terme à ces disparitions forcées et détentions illégales. Face à cet arbitraire et à la crainte des membres de la société civile d’être les prochaines cibles d’enlèvements, la justice doit aussi continuer à jouer son rôle pour enquêter, afin d’y mettre fin et de protéger les droits des personnes
C’est ce qu’ont fait avec courage plusieurs magistrats au Burkina Faso en ordonnant la libération immédiate de l’avocat Guy Hervé Kam. En juillet 2024, le barreau de Guinée appelait à la libération d’Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, boycottant les audiences pendant plusieurs jours. Des tribunaux ont également dénoncé des détentions arbitraires au Mali et au Niger.
Des actes qui n’ont pas manqué de placer les acteurs de la justice eux-mêmes dans le viseur des autorités. Au moins cinq magistrats burkinabè ont ainsi été enrôlés de manière ciblée dans l’armée en 2024 après avoir travaillé sur des procédures qui concernaient les autorités ou certains de leurs soutiens.
Malgré ces pressions inadmissibles, la justice de ces pays doit continuer de se dresser contre les agissements illégaux et les pratiques autoritaires des gouvernements en place. Un soutien accru de la communauté internationale au secteur de la justice dans ces pays est à cet égard primordial. Il y va de la survie de l’État de droit, et peut-être de celle des nombreuses personnes toujours portées disparues.
Directeur adjoint du bureau régional d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest et du Centre.