Simandou, ce nom résonne depuis trois décennies comme une promesse, un eldorado enfoui sous les montagnes guinéennes. Avec près de 8 milliards de tonnes de minerai de fer, ce gisement est l’un des plus importants au monde. Et pourtant, son exploitation, maintes fois annoncée, s’apparente à une litanie d’espoirs déçus. Aujourd’hui encore, à l’orée de 2025, les autorités guinéennes brandissent le projet comme le porte-étendard de leur ambition économique. Mais sur le terrain, entre poussières de chantier et colères paysannes, la désillusion menace déjà de rattraper le rêve.
À Sounganyia, petit village désormais collé au tracé du futur chemin de fer, Mamoudou Youla regarde, impuissant, sa rizière craquelée. « Depuis que les sociétés minières sont arrivées, tout est gâté », lâche-t-il. Là où l’on promettait emplois et développement, les habitants ne voient que dévastation et promesses non tenues. Les dédommagements ne compensent pas la perte des terres agricoles. Les jeunes, eux, dénoncent une corruption rampante : il faudrait payer pour espérer travailler sur un chantier qui les a pourtant dépossédés. Où est la grandeur annoncée, si ceux qui vivent à l’ombre du projet se sentent abandonnés ?
Pendant ce temps, à Conakry, les discours s’emplissent de chiffres et d’ambitions. On évoque 33 000 emplois créés, des milliards investis, un chemin de fer de 650 kilomètres, et même une aciérie en perspective. Simandou est devenu un symbole, un levier pour doubler le PIB du pays, assure-t-on. Mais à trop miser sur un projet, on oublie parfois que la prospérité n’est pas automatique. L’économiste Mohammed Camara le rappelle : « Il faut voir le projet sur le long terme et s’assurer de l’utilisation efficace des ressources. » Autrement dit, il ne suffit pas d’extraire du minerai. Encore faut-il que les revenus servent le bien commun.
Et c’est là que le bât blesse. Car les contrats censés encadrer cette manne minière restent dans l’ombre. En violation du code minier, les conventions signées avec les consortiums miniers n’ont pas été rendues publiques. À quoi sert de parler de « transparence » si les textes qui engagent l’avenir économique d’un pays restent cachés ? À l’Observatoire des mines et métaux, Oumar Totiya Barry s’interroge à voix haute : « Pourquoi ne pas publier ces contrats ? Cela permettrait de mieux comprendre les enjeux. » Une question simple, mais lourde de sens. Ce silence alimente les soupçons. D’autant que certaines sources évoquent déjà un prix de revente du minerai non fixé – un détail, certes… mais fondamental pour calculer les recettes de l’État.
Sur le papier, la ligne de chemin de fer incarne la volonté de désenclaver le pays. Elle est conçue pour transporter du minerai, mais aussi des marchandises et des passagers. Un rêve logistique. Mais là encore, la réalité grince : les gares prévues sont souvent loin des centres urbains. À plus de 80 km de Kindia, à des dizaines de kilomètres de Mamou… Pour beaucoup, ce tracé témoigne d’une logique industrielle plus que nationale. Le fer passera, les populations resteront à quai.
À Kaloum, dans le tumulte de la capitale, les commerçants haussent les épaules. Trop de promesses. Trop peu de résultats. Ils se souviennent de Boké, de ses routes défoncées, de son air saturé de poussière, et de ses habitants toujours aussi pauvres malgré la richesse du sous-sol. Simandou sera-t-il une répétition ? Ou bien le début d’un nouveau chapitre ?
Le gouvernement guinéen a entre ses mains un projet colossal, un tremplin vers une indépendance économique réelle. Mais il ne pourra en faire un succès que si la population en est pleinement bénéficiaire. Sans transparence, sans équité, sans justice sociale, même la plus grande mine de fer ne forgera que la défiance. Simandou peut changer le visage de la Guinée. À condition de ne pas reproduire les erreurs du passé.
Algassimou Avec Rfi